Trois plans sont proposés,
C’est la présentation du fameux et redoutable plan dialectique qui prend le plus de place (deux pages) tandis que tout ce qu’on dit du plan thématique est qu’il dépend des connaissances de l’élève et qu’il ne doit pas dépasser trois parties. On le privilégie quand il s’agit d’enfiler des platitudes sur les fonctions de la poésie, les principaux intérêts de l’autobiographie, etc.
Quant au plan analytique, il tend à expliquer un jugement plutôt qu’à le discuter. Les idées directrices des différentes parties du devoir sont inspirées de la citation qui sert de sujet.
Le fameux plan dialectique (thèse-antithèse-synthèse), est résumé ainsi : « les élèves sont invités à dégager tous les arguments [qui étayent le sujet] et à en apprécier le bien fondé ; puis il s’agit d’envisager les arguments qui divergent d’avec (sic) ce point de vue initial, voire s’y opposent ; dans un troisième temps, les élèves prennent eux-mêmes position. »
Je me souviens qu’en cours de français, quand nous ne nous exercions pas à la dissertation, l’approche des textes, extraits, romans étudiés en cours n’était pas du tout une approche “dissertationnelle”, mais se limitait – heureusement ! – à des séances d’explication de texte.
Au-delà des difficultés méthodologiques, la dissertation pose des contraintes supplémentaires.
JE EST UN AUTRE
Une consigne de la dissertation ne laisse pas de déconcerter, il s’agit de l’interdiction du recours à la première personne.
Elle présuppose une prétention à l’objectivité or s’il y a une chose qu’il serait urgent de faire, c’est d’établir ce que sont l’objectif et le subjectif (une fois sortis de la pensée automatique qui nous avait appris à associer objectif avec bon et subjectif avec mal).
S’il s’agit de stimuler l’esprit critique, on se demande l’esprit critique de qui et aussi, à part sa vertu paralysante, quelle peut bien être l’utilité de la proscription pure et simple du je.
Pour ne rien arranger, de nombreux sujets commencent par « Selon vous… », « Pensez-vous que… », à quoi servent ces amorces si ce n’est à inviter le lycéen pieds et poings liés à exécuter un numéro d’évasion.
Dans les faits, il est implicitement exclus que le rédacteur prenne le sujet au pied de la lettre en répondant « Selon moi, etc. » Le sujet pourrait être aussi bien formulé sans qu’on feigne de demander son avis au rédacteur. Mais on est en droit de se demander ce qu’il advient de la responsabilité intellectuelle dès lors que le Je est proscrit et qu’on attend du lycéen qu’il se dissolve dans une intenable neutralité. J’insiste : elle est intenable à partir du moment où on présente la dissertation comme un exercice de réflexion personnelle et d’esprit critique (et c’est ce qu’on fait). Voici un témoignage à ce sujet :
« La manie d’exclure le pronom personnel « je » de tout texte analytique (que ce soit des sciences de la nature ou des analyses littéraires) me semble particulièrement répandue en France. […] Mes professeurs français nous […] ont toujours interdit d’utiliser le « je » dans n’importe quelle composition – la subjectivité serait à éviter à tout prix. […] Mes professeurs allemands par contre refusaient strictement le « nous ». Je cite ma prof d’allemand: « Non, non, ce n’est pas moi qui le dis. Si je ne suis pas d’accord avec ce qu’écrit mon élève je ne veux pas être incluse dans cette affirmation! Vous devez reconnaître la responsabilité de votre affirmation. Utilisez le « je »! »
Mais pourquoi donc la subjectivité serait-elle à éviter à tout prix ? Et surtout, que reste-t-il une fois qu’on a éliminé la subjectivité, c’est-à-dire la position du sujet ? (mis à part bien sûr un simulacre d’objectivité)
L’interdiction du je est [donc] une absurdité, sauf à considérer honnêtement que la dissertation n’est rien d’autre qu’un contrôle des connaissances (si du moins ce vocabulaire a toujours cours dans l’enseignement). De plus, l’argument qui déduit l’objectivité de la non utilisation du je est doublement fallacieux. D’une part parce que cet artifice ne suffira pas à tenir l’erreur et le préjugé à l’écart : le tour de passe-passe consistant à remplacer je par nous ou par on peut conduire à un début de rigueur puisqu’il amène fatalement à se questionner sur ce que on veut dire (et que le choix du sujet est un premier filtre du propos) mais je ne vois pas en quoi l’emploi de la première personne exclut cette possibilité puisque justement le rédacteur serait amené à assumer ce qu’il écrit (ce qui n’est pas tout à fait le cas s’il dit nous ou on) ; d’autre part ce n’est que d’une position subjective que je peux savoir ce que je pense. C’est-à-dire, en essayant de distinguer ce qui est de l’ordre de l’opinion ou du préjugé de ce qui est de l’ordre du fait ou de l’observation. Autrement dit ce n’est que d’une position subjective que nous pouvons tendre vers une position objective. Mais surtout, ce n’est que d’une position subjective qu’on peut développer une réflexion personnelle.
En définitive, la dissertation aboutissait toujours à faire l’éloge de la littérature et d’une fausse idée de la modération, qui était en fait un refus de de prendre parti, une manière de ménager la chèvre de la thèse et le chou de l’antithèse. Elle semble rejoindre la vulgate selon laquelle toute certitude mène au fanatisme (sur ce sujet, voir le chapitre consacré à la dissertation de philosophie). Or cette hypothèse repose sur une conception erronée de ce qu’est une certitude et ce qu’est (ou n’est pas) le fanatisme. (À SUIVRE)
(Photographie : Thomas Demand, Büro, 1995)