TOXICOLOGIE : L’ART CONTEMPORAIN DE SE FOUTRE DE NOTRE GUEULE

L’art contemporain s’est fait une spécialité d’insulter l’œil et l’intelligence. On peut parler d’une sorte de viol intellectuel. Ce ne serait rien sans la rhétorique perverse qui lui sert de cuirasse. Sous des dehors futiles, vite démentis par les prétentions de ceux qui le font et ceux qui le défendent, sa vocation est de s’attaquer au sens.


Installé sur le parvis de la place Beaubourg en 2017, l’œuvre Domestikator est une “sculpture” visitable de 12 mètres de haut constituée de blocs rouge façon Lego qui évoque un couple en position de levrette (description faite par le très sérieux journal Le Figaro). La position en apparence paradoxale de l’art est sa prétention à faire réagir, tout en s’offusquant lorsqu’il fait réagir. Cela donne des offensives verbales comme celui que je vais citer dans une version abrégée, signé d’une certaine Anne-Marie Morice. On transposera aisément dans le domaine de la politique ou de la grande entreprise un texte qui se manifeste par la négation du point de vue de l’autre.  Ce verbiage ne contient pas un mot en trop : indice toxique élevé.

« Cette sculpture (1) […] fut refusée par le Louvre […]. De son côté la Société protectrice des animaux avait dénoncé le fait que cette œuvre représenterait “un acte zoophile”. (2)
“L’œuvre de l’Atelier Van Lieshout est une magnifique utopie (3) en prise avec l’espace public. Elle est spirituelle (4) et crée un lien évident (5) entre l’abstraction et la peinture figurative qui co-existent dans l’art hollandais du 20e siècle.”, a rétorqué avec une certaine finesse Bernard Blistène, Directeur du Centre Pompidou, Paris.
“Le Domestikator a l’intention d’être un catalyseur de pensée et d’opinion (6), puisqu’il pose la question, etc.” […]. 
L’artiste estime que le désir de contrôle développé par l’humain (7) se place dans une démarche de sécurisation du monde (par l’éducation, la protection sociale, la culture aseptisée (8)…). En contrepartie elle nous prive de plus en plus de notre intelligence, de notre créativité et nous contraint à accepter des apories comme le fait de faire co-exister dans nos “valeurs” l’amour des animaux et de la nature et l’exploitation de ces mêmes animaux pour notre alimentation. (9) […]  D’où la règle formelle (10) mise en place par l’artiste, [qui] évoqu[e] l’usine (11), la reproduction totale à l’identique, l’indifférenciation.
Cette œuvre s’inscrit dans la longue tradition de l’art à susciter des affects [et] ces œuvres offrent maintenant l’occasion à certaines populations de réagir violemment (12), par des affects négatifs de rejet de l’oeuvre (13), au nom de théories (14) qui de leurs points de vue (15) sont positives comme le bien-être animal, ou l’interdiction de signes sexuels dans l’espace public (16).
[La désapprobation est] : primaire et populiste. Ce public à courte vue s’arrête au stade de la représentation (17) alors que l’artiste cherche à provoquer des réactions émancipatrices (18) par l’humour (19), le décalage (20), la monumentalité, l’audace, l’énorme (21). Les services de presse et de médiation […] devraient […] restitu[er] la complexité des intentions de l’artiste (22). La présentation précédente de cette pièce en Allemagne a rencontré un grand succès populaire. (23)
Mais [le plus inquiétant] est l’interprétation étroite et malveillante […] faite du motif sexuel de l’oeuvre. La position de la levrette […], n’est-elle pas un acte souvent pratiqué dans les foyers ?  (24) […] nous assistons à une réapparition de plus en plus marquée d’une prétendue pudicité qui veut museler […] tout un chacun dans ses pratiques les plus intimes, (25)… »
Anne-Marie Morice

(1) Dans la langue civilisée, le sens des mots est associé à leur définition. En art contemporain, le sens ne naît que de l’indéfinition. Tout est “sculpture”, ce qui pue tout de même le complexe d’infériorité. Pour mériter d’être l’auteur d’une sculpture, deux possibilités : se hisser à la hauteur de ses prédécesseurs… ou détruire le sens du mot. Comme nous dit dans une publicité un influenceur qui boit du champagne sans bulles, « La question, elle est vite répondue ».

(2) Les protestations émanent souvent d’associations spécialisées. Dans ce cas précis, on voit mal ce que la “sculpture” fait de mal à la cause animale. Les associations sont bien obligées de faire parler d’elles. 

(3) L’emploi du mot « Utopie » à propos de cette œuvre est peut-être à mettre sur le compte d’une bouffée délirante. À partir du moment où la représentation au premier degré entre dans la réalité pour être justifié par les autorités culturelles, nous sommes bien dans la dystopie. Comme à chaque fois que l’utopie se réalise. 

(4) « Spirituelle » Il s’agit là d’un cas de satanisme verbal, c’est-à-dire d’inversion des valeurs.  Il s’agit toujours de sidérer par l’énormité du propos ; pendant que le public cherche à comprendre ce qui a été dit (puisque c’est le réflexe des gens honnêtes), le poison agit. 

(5) « Évident » = qui ne se voit pas, qui a besoin d’être expliqué : nous avons affaire ici à un ésotérisme artistique et verbal. L’art contemporain est ésotérique, son sens est caché, réservé aux incantations de la « pléthorique domesticité » (expression de Guy Debord) culturelle. 

(6) “catalyseur d’opinion”… Cette métaphore médicale préfigure un hygiénisme intellectuel qui a pour fonction de trier le bon grain de l’ivraie

(7) L’art contemporain vise toujours les forces obscures nichées dans les individus. Il ferait beau voir qu’il s’attaque au véritable pouvoir que, pour se croire libre, il doit croire le fruit d’une hallucination collective, alors que les artistes officiels (dans le sens le plus large du terme : tous les artistes qui ont accès aux médias et aux subventions) sont ceux qui le subissent le moins. 

(8) « Aseptisé » ? Le commentaire viserait-il l’esthétique chirurgicale des salles d’exposition d’art contemporain ? 

(9) La posture moralisatrice est typique des tartuffe. Rappelons que la « sculpture » représente une scène pornographique telle qu’elle apparaîtrait sur une console de jeu des années 80.

(10) Traduite en langue frontale, l’expression « règle formelle » désigne en réalité la manière d’enculer des mouches contribuables non consentantes et le choix du type de carambouille présenté comme signe de vie culturelle. Nous avons affaire à un dispositif d’extorsion de l’approbation. 

(11) « Usine » ! Il y a ici confusion entre fabrication et transport ; il est vrai que le monde de l’art affecte une certaine hauteur par rapport à ces trivialités. 

(12) Pourquoi est-ce toujours aux princesses au petit pois qu’on s’en prend toujours « violemment » ? (la réponse est dans la question)

(13) « des affects négatifs de rejet de l’oeuvre »… On sent que l’auteur se fait violence à évoquer des comportements aussi frustes. 

(14) Non pas des arguments, mais des « théories » ; le choix du mot est particulièrement condescendant. 

(15) Point de vue du pouvoir : objectif ; point de vue du peuple récalcitrant : subjectif, gouverné par l’erreur

(16) Ne pas croire que l’art contemporain, aussi inepte soient ses manifestations, soit inoffensif : l’aveu est fait ici du désir de la disparition de la séparation entre sphère publique et sphère intime. Ce n’est pas parce qu’on y est habitué qu’on est nécessairement aveugle à l’inversion satanique qui enferme les pratiques religieuses et spirituelles mais expose les pratiques sexuelles au nom de la liberté. Cette liberté n’est que le cache-sexe de la prédation et de l’homme esclave de ses désirs. 

(17) le public bloqué « au stade de la représentation » a au moins le mérite de ne pas confondre représentation et réalité. Tandis que les offices incessants du clergé culturel ont pour but de persuader que les réalités inférieures représentées servent une réalité supérieure invisible. 

(18) L’art émancipe de force et « La liberté, c’est l’esclavage ». Notons que si l’artiste échoue, c’est bien évidemment la faute du public. 

(19) Il est facile de prendre la moquerie et la méchanceté pour de l’humour… tant qu’on n’en est pas la cible. 

(20) Entretien de l’inadéquation entre le mot et la chose, le lieu et la fonction, les intentions et le résultat : bref : destruction du sens au détriment des non-initiés. Tout le projet de la “république” (res publica, en réalité détournée par les intérêts privés) est résumé ici. 

(21) « énorme »… Il semble qu’une observation juste se soit malencontreusement glissée dans le texte. 

(22) « Les services de presse et de médiation […] devraient […] restitu[er] la complexité des intentions de l’artiste » : les spectateurs protestent-ils ? C’est qu’on ne leur a pas assez bien expliqué. Traduction : On ne s’était pas rendu compte à quel point ils étaient cons. 

(23) Le pas de l’oie, en Allemagne, aurait-il été remplacé par la course désordonnée de multitudes de poules sans tête ? 

(24) « La position de la levrette […], n’est-elle pas un acte souvent pratiqué dans les foyers ? ». Volonté de faire disparaître la frontière entre public et privé, entre l’intime et le public. Qui confond ici la représentation et l’acte réel ? 

(25) « Nous assistons à une réapparition de plus en plus marquée d’une prétendue pudicité qui veut museler […] tout un chacun dans ses pratiques les plus intimes ». Censurer l’art c’est censurer la vie. Il est intéressant que l’article reproche au public borné de s’arrêter à la représentation pour avouer enfin que « l’œuvre » représente exactement ce qu’a vu le public de mécréants.

Illustration : Bernard Glück