NOMS D’OISEAUX EN CAGE

Suite à mon article précédent on m’a reproché sur Facebook de suggérer une vidéo dans laquelle « un négationniste » (sic), Étienne Chouard explique la création de la Réserve Fédérale américaine (sujet qui n’est ennuyeux qu’en apparence, sur lequel je reviendrai). 

Par où commencer ? Peut-être par l’essentiel.

Étienne Chouard n’est pas négationniste ; il n’est pas révisionniste. 

Dans l’art de passer à côté du sujet ou d’en détourner l’attention, les mots suivants sont d’une aide précieuse : antisémite, raciste, islamophobe, homophobe, sexiste, d’extrême-droite, fasciste, réactionnaire, révisionniste, négationniste, donc, etc. J’oubliais complotiste.

Pour les utiliser à bon escient avec un maximum d’efficacité si on veut en faire des armes absolues du langage, il suffit d’ignorer ce qu’ils signifient et de les réserver à des emplois mal intentionnés… C’est-à-dire à l’insulte et la calomnie (à ce titre, « antisémite » remporte le pompon). On inventera donc des « négationnistes du climat ». On aura insulté les sceptiques… et on n’aura pas fait grand-chose d’autre (tactique idéale pour ceux qui préfèrent économiser leurs forces). Ces noms d’oiseaux sont donc au débat ce que ce que le fusil est aux créatures ailées et plumées qu’étudie l’ornithologue : une manière de faire disparaître le sujet. Je ne dis pas qu’ils sont dénués de sens historique ou étymologique (encore que « complotiste » soit particulièrement mal fichu) ; ce que je dis, c’est que d’une part, ce sens reste à définir et que d’autre part quand ils sont employés de manière isolée et malveillante, leur sens historique ou étymologique n’a aucune importance. De la même manière, on n’a pas besoin de connaître le maniement des armes pour éborgner avec un arc, assommer avec la crosse d’un révolver, voire étouffer quelqu’un avec un gant de boxe (on peut toujours essayer, vu ce qu’on fait avec les mots).

Le terme révisionniste (et donc j’insiste : pas “négationniste,” que personne ne revendique, qui n’est employé que dans une intention diffamatoire et dont on appréciera l’accent dramatique) est une arme absolue du langage depuis 1990, c’est-à-dire depuis qu’existe la loi Gayssot (qui a en réalité été l’initiative de Laurent Fabius, aussi connu pour l’affaire du sang contaminé).

Selon Wikipédia, la loi  n° 90-615 du 13 juillet 1990, dite loi Gayssot tend à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe (on appréciera les distinctions) et se trouve être la première des lois mémorielles françaises. Elle réprime la contestation des crimes contre l’humanité tels qu’ils furent définis dans le statut du tribunal international de Nuremberg. La plupart des débats portant sur cette loi, lors de son adoption et ultérieurement, mettent en avant une possible atteinte à la liberté d’expression et à la recherche historique en général. Ces deux dernières notions sont désormais obsolètes.

Donc, à en croire Wikipédia, vous avez le droit de vous poser des questions sur les massacres qui ont eu lieu en Russie dès 1917 et le génocide des Cambodgiens par les Khmers rouges : vous êtes tranquilles de ce côté-là. 

La loi Gayssot a été la réponse à la demande de débat formulée par des gens comme Robert Faurisson. Du reste, nombreuses sont les personnalités qui, sans nécessairement adhérer aux thèses de Robert Faurisson, se sont prononcées à l’époque contre la loi Gayssot, parmi lesquelles Dominique Perben, François Fillon, Jean-Louis Debré, Jacques Chirac, Alain Peyrefitte et Simone Veil, mais aussi les historiens Pierre Nora, Pierre Vidal-Naquet et François Furet, puis contre les lois mémorielles par la suite, parmi lesquels l’historienne Françoise Chandernagor. Leur argument ? Que ces lois les empêchent de travailler librement (on trouve sur Internet la passionnante conférence de Françoise Chandernagor contre la censure publiée il y a quelques années dans la revue L’histoire)

Par définition, les historiens révisent l’histoire et les événements sur lesquels ils se penchent ce qui ne veut pas dire que tous s’intéressent à remettre en cause certains aspects de la deuxième guerre mondiale. Comme les mots énumérés plus haut, quand il est employé comme insulte, révisionniste ne veut pas dire grand-chose d’autre que « Ferme-la ! ». De facto, la loi Gayssot a littéralement fait entrer un événement historique dans le domaine du sacré  et le fameux devoir de mémoire dans celui du culte ; d’ailleurs le doux Manuel Valls n’affirmait-il pas “La shoah doit être sacralisée” ? Il aurait pu le chanter avec les carabiniers d’Offenbach : elle l’était déjà.

Pour revenir à Étienne Chouard… Quand sur la chaine Youtube Le Média il s’est vu poser par le journaliste Denis Robert la question de savoir s’il avait des doutes sur les chambres à gaz, il a répondu : 

« Mais qu’est-ce que c’est que cette question ? Je n’ai pas pris le temps du tout de me renseigner sur les chambres à gaz. […] Il faut que je dise quoi du coup ? Que les chambres à gaz ont existé, de façon tranchée et non ambiguë ? Je peux le dire si vous voulez, mais rendez-vous compte du truc. […] Si c’est si grave d’en douter, est-ce qu’il ne suffit pas de produire la démonstration contre ceux qui nient, comme pour le racisme. Et puis voilà, on passe autre chose. »

Effectivement on trouve dans ce passage des négations d’ordre grammatical et syntaxique (« je n’ai pas pris le temps » et « ceux qui nient »). Si Étienne Chouard se rend coupable de quelque chose, c’est de naïveté : la loi Gayssot a été créée précisément pour qu’aucun débat ne puisse avoir lieu sur le sujet des chambres à gaz. On en pensera ce qu’on veut, si tant est que ce soit autorisé. 

Dans ces conditions, la seule réponse à apporter à la question posée par le journaliste Denis Robert est : « Bien sûr que je n’ai aucun doute : c’est interdit par la loi. ». A moins bien sûr de vouloir risquer d’effectuer un séjour en prison – il est vrai que Nicole Belloubet y a fait de la place pendant le confinement – ou en exil, pourquoi pas ? 

Cela dit, la question étant interdite, il devrait également être interdit aux journalistes (qu’ils s’appellent Denis Robert ou Mathias Enthoven) de la mettre sur le tapis dans la sphère publique, à plus forte raison à la télévision ou sur Internet, à moins de s’exposer eux aussi à des poursuites puisque le simple fait de poser cette question constitue une incitation à enfreindre la loi. Tant qu’elle n’est pas abrogée.

Donc pour répondre à la question qui m’a été posée : non, je ne vois aucun problème à citer Étienne Chouard, ou qui que ce soit, sur des sujets qu’ils connaissent bien, sur lesquels aucune loi au principe contestable n’impose le silence ou la soumission à une version officielle.

(Illustration : Marcel Odenbach, collage)

… AU PARADIS

J’écris très rarement en réaction à l’actualité internationale ; je vais faire une exception aujourd’hui. 

Hier, je suis sorti de chez moi. 

Je ne portais pas le masque. 

Les valeureux vérificateurs de nouvelles me signaleraient que je ne suis ni le seul ni le premier contrevenant. En plus, je ne me suis pas filmé, vous avez vu mon téléphone portable ? Non vous ne l’avez pas vu. On n’en voit plus des comme ça, il intéresse déjà les archéologues, comme notre “civilisation”. 

Donc je suis sorti sans masque. Et encore une fois, je ne suis pas le seul ni le premier depuis que nous y sommes aimablement encouragés sous peine d’amende. Un bonheur n’arrivant jamais seul, le masque ne fera jamais taire un “journaliste” ni un politicien. 

Mes sorties, je les faisais jusqu’à présent à vélo, équipage sur lequel on n’est pas encore contraint de se bâillonner, ce qui n’empêche d’ailleurs pas une mauvaise moitié des cyclistes (on ne me fera pas croire que c’est “une bonne moitié”) à observer cette pudeur excessive, ce zèle dans l’obéissance et la prévention. Je suis casanier et ces sorties à vélo suffisaient à mon hygiène mentale et physique, mon compagnon ayant depuis des semaines l’amabilité de s’occuper des courses. 

Je me comportais comme un prisonnier. 

Je me comportais comme des centaines de millions de prisonniers 

La moitié de la planète : 3,6 milliards, est-ce vraiment possible ? Ce pourrait être il y a des siècles, je me souviens qu’a été envisagé le port du bracelet électronique dans le cadre de cette “menace invisible”. Vous vous souvenez ? Science-fiction ! 1

Dans un monde où les masques ne servaient pas quand le personnel soignant en avait besoin, ils sont devenus obligatoires maintenant qu’ils ne servent vraiment plus à rien.  On comptait les morts et les hospitalisations ; on compte à présent les “cas” dans une dimension, la quatrième ou la cinquième, la nôtre, où “cas” signifie “personne en bonne santé” ; tout cela est donc sinon logique, très cohérent. J’avais modifié mes habitudes, n’allant plus que chez les libraires qui n’imposaient pas le port du masque, la stérilisation des mains ; je n’en ai trouvé qu’un et c’était avant. C’était juste après la fin du confinement où on a inventé qu’il faut confiner les personnes en bonne santé. 

Pendant plusieurs mois, j’ai donc acheté mes livres par correspondance, sur Ebay et Recyclivres. Amazon c’est pour les chiens. Et c’est ainsi que je suis tombé sur une nouvelle de Julio Cortazar dans une anthologie des années soixante Les chefs-d’œuvres de l’épouvante. Dans La nuit face au ciel de Cortazar, il est aussi question de sacrifices humains et de modernité – certains d’entre vous feront le rapprochement avec ces temps troublés. 

Ne pouvant me résoudre à honorer une librairie de ma clientèle masquée – si encore c’était sur les yeux, comme Zorro, le Spirit ou le Concombre ! –, j’ai profité il y a quelques jours de ce que mon compagnon voulait se procurer le dernier Lapinot de Lewis Trondheim (c’est très bien aussi) pour lui demander de m’acheter le recueil de nouvelles Les armes secrètes. Et je dois vous dire, Les armes secrètes, c’est tellement formidable qu’hier, donc il fallait que j’aille à la librairie d’en face me procurer d’urgence un autre recueil de Cortazar. Et puis ça ne pouvait plus durer, j’avais résolu depuis longtemps que si je sortais à pied,  ce serait sans masque. Tout le monde n’a pas les moyens de payer une amende pour respirer librement ; je n’en ai pas les moyens non plus (je compte sur un recours qui s’appelle : procès-verbal judiciaire). 

Mais je n’ai pas le choix. 

En ce qui me concerne, Cortazar, maitre des clés, auteur des Armes secrètes l’est aussi de ma libération. Je suis sorti. À visage découvert. Tel un chirurgien dément, une infirmière frivole et sous-payée (frivole et sous-payé, je peux l’être aussi), un tueur de Halloween ou de Vendredi 13 devenu exhibitionniste… Je m’étais muni de cette serviette hygiénique buccale, dont les règles d’hygiène quantique nous disent qu’il suffit de la laver à trente degrés pour la stériliser oui, trente degré est la nouvelle température de stérilisation, ce qui est logique dans un monde où certaine auguste Souveraineté, dont il serait indiqué de mesurer la température anale, appelle l’agression ultra violente d’un chauffeur de bus, des tirs contre un pompier et le meurtre d’un gendarme, par deux fois, des “incivilités”. 

C’était une des rares libertés qui nous restaient, nous n’y pensions même pas (non pas la liberté de parole ou de pensée, soyons sérieux, ce sont des antiquités) ; cette liberté qu’on pourrait appeler la liberté de sourire ou de faire la gueule a désormais un prix. 

Cent trente-cinq euros en France. 

Deux cent cinquante euros en Belgique. 

C’est pas cher pour de la liberté. 

Nous ne vivons pas sous le régime de la démocratie, soyons clair, nous vivons sous le régime du racket2

J’habite dans le centre de Bruxelles. Il était dix-sept heures. D’ailleurs il y avait une camionnette de police stationnée du côté de mon immeuble, autour de laquelle gazouillaient de ces fonctionnaires en uniformes bleu marine. Il ne m’est pas venu à l’esprit de sortir mon masque de mon sac . J’étais toujours dans leur champ de vision, au coin de la rue en attendant le feu vert, long à la détente. Ils avaient mieux à faire. Ils auront mieux à faire le jour où ils me verbaliseront. Ils ne le feront pas. Ils me verbaliseront. 

L’objet de mon oppression se trouvait soigneusement, quoique guère hygiéniquement plié dans une poche de mon sac ; dans le même monde où on pouvait fréquenter, au plus fort de l’épidémie, les supermarchés alors que les marchés étaient fermés, il est recommandé, alors qu’aucun virus ne survit à la chaleur ni au soleil, de cumuler, comme des peines, comme des coupables : distanciation sociale, port du masque, vitre en plexi entre les vendeurs et les clients, et dans certains endroits stérilisation à la vapeur sèche. On n’en est pas encore à la crémation des vivants. Ils brûleront au paradis. 

Pour ce qui est des personnes qui m’objecteront “protéger les fragiles, etc.”, qui se réfugient derrières les fragiles, les vieux et les malades comme derrière des boucliers humains, qu’elles se retournent dans leur tombe mentale, la face vers le bas, avec leur masque ! 

Je disais que, ne m’étant pas filmé ni photographié je ne pouvais pas prouver mon acte. Pourtant la conversation avec l’aimable jeune libraire au visage textilement occulté, qui inspiré par l’inscription covid19(84) en blanc sur mon tee-shirt noir, m’a conseillé un auteur de science-fiction, Alain Damasio, et avec qui j’ai parlé de l’essai de Michel Houellebecq sur Lovecraft, évoqué Le meilleur des mondes qui, soit dit entre nous, n’est pas meilleur qu’un autre, pas meilleur que le nôtre, cette conversation, disais-je… 

… je ne l’invente pas. 

J’ai quitté la librairie avec mes Armes secrètes et aussi avec L’archipel du goulag de Soljénitsyne. Version abrégée, parce que la vie est courte. 

Pour revenir à nos libertés, mot auquel devraient désormais être greffés en permanence des guillemets génétiquement modifiés, le sens de l’expression “parler librement” avait d’ores et déjà “changé”, il a encore glissé il y a quelques semaines, quand le masque est devenu obligatoire à l’extérieur, qui glisse lui aussi, le long du visage dès qu’on essaie de prononcer deux mots, mettant à nu un appendice respiratoire devenu obscène. Le galbe d’une narine sera bientôt propre à nous émoustiller. Bientôt, rire ne sera plus qu’un verbe, plus qu’un son, on aura oublié à quoi ressemble l’expression faciale qui l’accompagnait il n’y a pas si longtemps (les commissures s’écartent, faisant remonter les plis d’expression, comme les tentures dans les vieilles demeures bourgeoises, mais si, souvenez-vous… on voit les dents…)3

Alors les personnes qui se font croire que le masque sert à quelque chose, contre toute logique… 

… les personnes qui ne veulent pas se joindre aux manifestations “complotistes” (elles ne savent pas ce que ça veut dire mais elles savent que « c’est pas bien », se croient protégées entre quatre murs de démocratie) et « d’extrême-droite » – quant à l’extrême-gauche, où est-elle ? dans L’archipel du goulag

… les policiers zélés, que leurs zèles n’emporteront pas au paradis… 

… les journalistes de cette presse qui sert littéralement à écraser… 

… et surtout, nos gouvernants qui nous font vivre dans ce monde de cauchemar…

Comment dirais-je… 

Je les caresse rectalement avec un objet rigide et phalloïde, comme l’état qualifié de même, auquel ils sont soumis : profond. 

1 sauf si vous vivez en Australie ou en Nouvelle-Zélande. 

2 sept minutes pour comprendre :

et nous ne sommes pas mieux lotis en Europe, à ceci près que la Réserve fédérale a été nationalisée par le président des Etats-Unis au début de cette année et que les Américains en sentent déjà les bienfaits. 

3 Je pense à toutes les personnes qui doivent porter le masque au moins huit heures par jour, sans parler des heures de navettage, mais ce sont des adultes et non des mineurs, ils peuvent objecter ; j’ai rencontré une dame qui va soumettre sa lettre d’objection de conscience au port du masque à son employeur. En ce qui concerne les adolescents : ces derniers pourront contacter Vincent Lézac sur Facebook. 

Illustration : collage de Ben Giles (détail)