Pauvres créatures (Poor things, 2024) de Yorgos Lanthimos est salué comme « un grand film féministe », c’est-à-dire un film qui s’en prend au « patriarcat », et naturellement recommandé comme tel, comme à chaque fois qu’est employé un mot fétiche (“féministe”, “démocratique”, “inclusif”…) qui n’a pas tant vocation à signifier qu’à entretenir un état de sidération et d’hypnose.
ILLUSION DE LA PLURALITÉ
Sur le site de France Inter, un aperçu des critiques inoffensives de l’émission de Le masque et la plume confirme que la critique professionnelle n’a rien à voir avec l’exercice d’un véritable esprit critique (capable d’exposer des visées propagandistes sans forcément gâcher le plaisir du spectateur) et qu’elle en est un produit dérivé, une sous-production du cinéma et de la culture en général, la culture étant une des idoles, un des cultes, du polythéiquement correct démocratique. Un des critiques trouve à redire à l’abus des plans à image convexe ; une autre se réjouit qu’un personnage féminin « s’émancipe des codes sans rien lâcher de ses désirs. » (conformité au culte du plaisir personnel) ; une autre encore déplore une tendance « à mettre en scène des femmes selon un regard d’homme » (conformité au regard “féministe” culpabilisant et castrateur qui tétanise toute la société occidentale)…
Pauvres créatures contient de nombreuses scènes détaillant l’activité sexuelle débridée de son héroïne. Profitons-en pour réfléchir à l’épreuve pour l’actrice, consistant à se montrer dans de nombreuses scènes dégradantes. On sait que les acteurs ne sortent pas indemnes de leurs personnages ; dans une interview, l’actrice Sabine Azéma disait regretter qu’après une scène où elle a dû pleurer, il ne se trouve personne pour la prendre dans ses bras ; les bons acteurs ne font pas tout à fait semblant.
Pauvres créatures raconte une “émancipation” par la jouissance sexuelle, et assène donc une nouvelle couche de catéchisme moderne par la valorisation du corps plutôt que de l’esprit. Ce concept étrange ne peut se comprendre que dans un monde où le sexe est entré dans la vie publique et où il occupe littéralement désormais la vie politique. Ce monde, c’est le nôtre. Rappelons au passage la phrase de l’auteur Aldous Huxley : « Quand il n’y aura plus de libertés, il restera la liberté sexuelle ».
GÉNÉALOGIE FRANKENSTEIN
Pauvres créatures , qui se veut une variante sur le mythe transhumaniste de Frankenstein (contrôle de la vie, mythe du nouvel homme et divinisation de l’homme) s’ouvre sur le suicide d’une jeune femme, dont il s’avèrera qu’elle est enceinte. Son corps sera récupéré par un homme défiguré, Godwin, que tout le monde appelle “God” (donc : Dieu) et qui s’adonne à des expériences d’hybridation sur des animaux : poule à tête de porc, canard à tête de chien et chèvre à tête de canard. Ne nous y trompons pas, les animaux aberrants montrés dans ce film sont l’illustration grotesque d’un fantasme de contrôle total du vivant bien réel, qui figure au programme du Forum Économique Mondial et son projet de « fusion entre l’identité physique, biologique et numérique » (1). Fusion : confusion.
Le nom de Godwin n’est pas choisi au hasard : c’était le nom du père de Mary Godwin, future Mary Shelley, auteur de Frankenstein. William Godwin était l’auteur d’un essai révolutionnaire visant à réformer la société selon l’idéologie illuministe, qui ne reconnaît rien de supérieur à la raison et à l’humain ; dans la société ainsi fantasmée, le mariage (« le plus odieux des monopoles ») serait hors-la-loi, et le libertinage et le partage des concubines seraient la règle… La lecture de cet essai anarchiste allait marquer le poète Percy Bysshe Shelley qui finirait par rencontrer l’auteur et séduire sa fille, espérant fonder en version microcosmique un modèle de société socialiste utopique dans lequel l’échange des partenaires serait la norme. Soit dit en passant, si beaucoup de privilégiés comme Shelley ont été séduits par le socialisme utopique, c’est qu’ils devinaient que leur condition de privilégiés serait préservée.
Pour revenir à Pauvres créatures, le choix de nommer Godwin (God = Dieu) un personnage qui manipule le vivant trouve aujourd’hui un écho concert dans les thèses de Yuval Noah Harari, conseiller du directeur du Forum Économique Mondial Klaus Schwab et auteur du best-seller mondial Homo Deus qui développe de manière idéologico-scientiste la promesse du serpent « Vous serez comme des dieux ».
POUR UNE SEXUALITÉ ÉPANOUIE DE L’ENFANT ?
L’héroïne de Pauvres créatures, Bella est donc une femme suicidée ressuscitée par un savant fou qui a greffé à la place de son cerveau celui de son bébé. Il n’est guère étonnant que la critique ne s’attarde pas sur ce détail perturbant : Pauvres créatures ne nous raconte pas l’itinéraire sexuel et “politique” d’une femme à la psychologie immature, mais d’une petite fille dans un corps d’adulte ; le film n’exploite le potentiel absurde de cette situation que pour faire oublier au spectateur qu’il assiste à des scènes de relations sexuelles entre des hommes et une petite fille de huit ans (dans un corps de femme). Dissonance cognitive, ce que voit le spectateur : des scènes sexuelles entre adultes, ne correspond pas à ce qu’il sait : qu’un des deux partenaires est une enfant. Le film montre Bella à la fois comme un enfant qui utilise les hommes comme des jouets sexuels (ce qui est une perversion) et comme un modèle de femme libre (réduisant de nouveau la liberté à la liberté sexuelle)…
Ce n’est que de la fiction ? Si le pouvoir ne prenait pas au sérieux ce qu’on appelle la “culture” (une des divinités républicaines) la CIA ne serait pas intervenue dans les programmes culturels américains et européens à partir des années 50 (voir l’essai de Frances Stonor Saunders Qui mène la danse ?)
LA PROSTITUTION AU SERVICE DE LA CAUSE FÉMINISTE
Duncan, l’amant de Bella, qui voit d’un mauvais œil qu’elle échappe à son contrôle, lui soit “infidèle”, essaiera de la mettre en garde contre la prostitution. Les auteurs du film ne semblent pas établir de distinction entre jalousie, possessivité, et le désir de protéger une femme. C’est donc assez logiquement que les scénaristes envoient Duncan dans un asile d’aliénés. C’est le sort de ceux qui se mettent en travers de “la liberté des femmes”. La puissance – caverneuse et platonique – de l’illusion cinématographique consiste à nous faire croire que ce sont des personnages qui parlent (interprétés par des acteurs que nous adorons comme des divinités) alors que ces personnages sont l’interface entre nous et les puissances qui modèlent la matrice idéologique. Un peu comme elles utiliseraient des poupées de ventriloques.
À Paris, Bella trouvera du travail dans une maison close (ses lectures philosophiques de femme éclairée ne semblent pas avoir d’autre résultat que de l’enchaîner à la chair), où la maquerelle verra en elle une femme « en train de tracer sa propre voie vers la liberté ». Elle encouragera Bella en ces mots : « Nous devons travailler, gagner de l’argent. Mais plus que cela, nous devons tout expérimenter. Pas seulement le bien mais aussi le dégradant, l’horreur et la tristesse. C’est ce qui fait de nous des êtres achevés, Bella » Traduction : « C’est ce qui fait de nous des êtres… morcelés, dissociés, fragmentés ». Soit dit en passant, le laïus de la maquerelle oppose « êtres achevés » à « enfants laissés intouchés », comme si la préservation de l’innocence des enfants était un mal.
Rappelons que ce discours “d’émancipation” est tenu par quelqu’un dont « l’intérêt bien compris » (selon la formule de l’économiste libéral Adam Smith) est directement lié à l’exploitation sexuelle des corps, qu’elle appelle « accomplissement personnel ». C’est peut-être dans la même optique que le mage sataniste Aleister Crowley estimait qu’un enfant devait avoir été exposé à toutes les formes de sexualité ; et que sous les pavés de ces bonnes intentions, l’OMS promeut ce programme de Droits sexuels des enfants (sic). Le film montrera d’ailleurs Bella ayant des relations sexuelles avec un père en présence des enfants de celui-ci.
VERS LE MEILLEUR DES MONDES
In fine, c’est le plus naturellement du monde que Bella va entamer une relation amoureuse avec une autre prostituée, une belle jeune femme noire, qui se dit socialiste, et convertit Bella à sa cause en lui expliquant qu’elle veut “améliorer le monde”. Le mot socialisme peut sembler tomber comme un cheveu sur la soupe dans un film de divertissement, même adressé à un public “cultivé”. Le spectateur n’a pas l’habitude de voir la propagande avancer à visage découvert. Or il faut rappeler d’une part que la population occidentale est visée depuis quelques années par un programme affiché sur le site du Forum économique mondial (2). La banalité du mot socialisme, le fait qu’il soit devenu pour les professionnels de la politique (sans oublier les professionnelles) une simple étiquette servant à canaliser les flots de bulletins en période électorale, ne doit pas faire perdre de vue que le socialisme utopique prétend instaurer sur terre une société idéale, un paradis terrestre, scientifiquement mesuré et quantifié (voir à ce sujet les projets de Jeremy Bentham et ceux de Charles Fourier). Il serait encore plus imprudent d’ignorer que les héritiers et les manifestations programmatiques actuelles de ce socialisme ne retiennent plus de l’utopie que la notion de contrôle total. Dans cette société, le citoyen idéal est le sujet infantile esclave de ses pulsions, qui confond les mots (“féministe”, “libre”, “socialiste”…) avec l’emploi frauduleux qu’en fait un pouvoir pervers et manipulateur.
(1) www.youtube.com/watch?v=v5y4hc6vPTs&t=7s
(2) Programme épousant la logique de la table rase, repris par les “chefs d’État” – comprendre : hommes de paille au service des entités qui dictent leurs volontés aux multinationales via Blackrock et Vanguard –, et le peuple ; ces visages et leurs discours hypnotiques servent à entretenir l’illusion “démocratique” dans un monde matriciel où les mots ne signifient pas la même chose pour le pouvoir qui les émet que pour le peuple à qui ils sont destinés. Premier commandement : « Vous ne posséderez rien et vous serez heureux. » : www.youtube.com/watch?v=PckRXcgmbfI