LES PROPOS CONSCIENTS DE JOANN SFAR

« Marguerite Duras n’a pas écrit que des conneries… Elle en a aussi filmé. » (Pierre Desproges) Ce n’est pas de Marguerite Duras qu’il sera question ici, mais de Joann Sfar, que cette phrase d’introduction rend inutile de présenter (si ce n’est qu’il a réalisé un remake ridicule et prétentieux de La dame dans la voiture avec des lunettes et un fusil, qui n’est pas le moindre de ses accomplissements).
C’est donc sur Radio J que Joann Sfar (grâce lui soit rendue) tenait les propos suivants :

« Maintenant que des étudiants voudraient, parce que tout le monde (1) veut la paix (2) au proche orient, maintenant que des étudiants voudraient participer à la réflexion sur le proche orient contre la guerre, tout le monde est contre la guerre, eh ben c’est difficile parce que toutes les trois phrases il y a des sous-textes (3) anti-juifs (4) que les locuteurs (5) ne sont même pas conscients (6) de proférer – moi je ne suis pas en train de dire que les pro-palestiniens sont anti-juifs (7), c’est l’inverse (8) – je suis en train de dire qu’il y a des jeunes gens qui sans le faire exprès (9) ont été éduqués à la Dieudonné ou à la Soral depuis 20 ans et sans le faire exprès (10), ils disent un inconscient (11) qui est pas audible (12) pour une oreille juive (13) parce que il y a eu une éducation à l’antisémitisme qui a pas été faite (14). »

  1. Même si « tout le monde » ne la veut pas de la même manière ni au même prix. 
  2. À la racine du messianisme juif, il y a la foi en le retour du messie, dans un monde pacifié. Pacifié comment ? Les versions divergent. la manière forte n’est pas exclue. Le président Netanyahu suit les consignes de rabbins qui lui rappellent régulièrement de hâter la venue du messie, qui doit être enfanté dans la douleur du monde (y compris dans les souffrances du peuple juif). Précisons que les juifs ultra-orthodoxes par exemple, ne sont pas sionistes ; c’est-à-dire qu’ils sont fermement opposés à toute intervention humaine dans la venue du messie. 
  3. Qu’est-ce qu’un sous-texte ? C’est une manière d’insinuer que le commentateur (ici l’auteur de bandes dessinées/cinéaste/écrivain/linguiste Joann Sfar) comprend mieux ce qu’ils disent que ceux qui le disent. Il le comprend tellement mieux qu’il les appelle « locuteurs », ce qui en impose.
  4. Notons que Joann Sfar évite de dire le mot antisémite (sans nous dire ce qui serait le plus grave : être anti-juif ou antisémite ; il est vrai que les Palestiniens sont un peuple sémitique, parlant une langue sémitique, ce qui mettrait Joann Sfar dans de beaux draps). Cet art de dire moins pour dire plus est une figure de rhétorique qui porte le joli nom de litote
  5. Remercions Joann Sfar pour l’emploi de ce mot avec son élégante précision. 
  6. Ajoutons “psychanalyste” aux nombreuses spécialités de Joann Sfar, capable, comme Moïse séparant la mer rouge, de distinguer ce qui dans des propos est dit consciemment et inconsciemment. Belle preuve d’honnêteté intellectuelle !
  7. Nous voilà rassurés !
  8. Ce que nous dit inconsciemment, de son propre aveu (« je ne suis pas en train de dire »), Joann Sfar, c’est que les anti-juifs sont pro-palestiniens et que d’ailleurs c’est parce qu’ils sont anti-juifs et pour aucune autre raison. Car leur haine doit se cristalliser sur une cause acceptable pour être socialement revendiquée. Il y en a dans l’inconscient de Joann Sfar ! 
  9. Si Joann Sfar reconnaît aux locuteurs la part d’inconscient contenue dans leurs propos, rien d’étonnant à ce qu’il sache aussi ce qu’ils ont voulu faire exprès et pas exprès. Je ne voudrais pas faire rougir Joann Sfar et sa modestie légendaire mais déclarer, comme il le fait, que c’est sans le faire exprès que des gens éduqués par Soral et Dieudonné régurgitent leur enseignement, c’est montrer une propension prodigieuse à l’effort surhumain. N’importe qui à sa place se serait contenté d’associer au nom de Soral ou de Dieudonné une défaillance passagère de la judéophilie (tactique pourtant éprouvée et d’ailleurs il n’y a pas de raison de bouder les recettes qui marchent).
  10. Si l’expression est répétée, c’est parce que la deuxième occurrence n’est pas tout à fait la même que la première ; on ne se baigne pas deux fois dans la même rivière (mais alors combien de fois ?). C’est bien en faisant exprès et consciemment que Joann Sfar ne dit pas la même chose en répétant « sans le faire exprès » ; ce qu’il dit cette fois-ci, c’est qu’il n’accuse personne parce qu’il est quelqu’un de gentil et de compréhensif et qu’il n’est pas un délateur. Et qu’il s’exprime consciemment. 
  11. Il est tellement bienveillant, Joann Sfar, qu’il rend un bel hommage à ceux qui « disent un inconscient » (c’est un exploit). Par modestie, il n’a pas poussé jusqu’à qualifier l’inconscient de “collectif”, ce qui l’aurait obligé à se reconnaître sociologue. 
  12. « Dit » mais « pas audible ». Parlons plus fort ou articulons, je ne vois que ça. 
  13. Laquelle ? La gauche ou la droite ? Il faut bien plaisanter un peu. Une « oreille juive » est une métonymie (nommer la partie pour le tout : une pour deux) mais aussi un amalgame, ce qui est strictement interdit… parfois. 
  14. L’art de la chute, le mot qu’on n’avait pas vu venir : « antisémitisme » (voir BONUS). Forme de racisme plus grave que le racisme, qui était originellement « théorie de l’inégalité des races » (théorie positiviste née à la faveur de la révolution bourgeoise). L’antisémitisme – et il a bien raison parce qu’on n’est jamais trop prudent – est la théorie de l’inégalité des racismes. 

Pour juger à quel point Joann Sfar parle consciemment, c’est ici :
https://twitter.com/F_antom_AS/status/1787792069219504164?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1787792069219504164%7Ctwgr%5E27c1261753771d2060a4f46b86788cc6b0879c8a%7Ctwcon%5Es1_c10&ref_url=https%3A%2F%2Fwww.egaliteetreconciliation.fr%2FUne-semaine-sur-Twitter-S02E19-75654.html

BONUS
Devinez anti-quoi a dit Alain Finkielkraut qu’était Guillaume Meurice ?